4 - LA SIDERURGIE RURALE EN LOIRE. INFERIEURE, AUX XVII ET XVIIIème SIECLE

(SUITE)

4.5 - L' organisation technique et sociale

Pour ce que l'on en sache, le monde fermé de l'aristocratie ouvrière que constituent les "forgerons" (sensulato), se distingue nettement des forestiers, des ouvriers de la mine et des transporteurs de matériaux.

Cette élite ouvrière se situe dans l'entourage immédiat du premier commis et du régisseur. Ils sont peu nombreux (de l'ordre de la dizaine). En quelque sorte ce sont les ingénieurs du temps ayant leur propre hiérarchie et leur spécialité. A chaque stade de la transformation du minerai domine un maître: maitre-fondeur, affineur, chauffeur, marteleur ou fendeur. Il semble qu'il aient eu un statut privilégié vis à vis d'autres acteurs du fonctionnement des établissements, dont le charpentier qui lui travaillait le bois (!), et le maréchal-taillandier chargé du finissage des objets en fer avant leur livraison aux utilisateurs.

Au plan du savoir-faire, la plupart des techniciens appartient à des lignées formées dès le XVIIème, attachés à une forge ou migrants d'une forge à l'autre, pratiquant une sorte de compagnonnage et pour certains une sorte "d'endogamie" professionnelle, par des unions croisées (par mariage) entre familles de forgerons.

A ces professionnels et leurs aides attachés à la forge, s'ajoutaient des travailleurs sur le terrain ou gravitant autour des établissements: mineurs, bûcherons, charbonniers, voituriers et ouvriers saisonniers. Il est bon de savoir que si les effectifs de personnel administratif et ouvriers spécialisés, étaient réduits à quelques dizaines de personnes, gravitaient autour des fourneaux et de la forge, un personnel de journaliers et de prestataires de service en nombre bien plus considérable. Entre autres, intervenaient les propriétaires de moyens de transport tous-terrains et tous-temps: des chevaux que l'on chargeait de sacs pour livrer en tous temps le charbon (v. les sacquetiers); des attelages de bœufs plus aptes à tirer par les mauvais chemins, des charrettes lourdement chargées (de minerai, de fonte). Dans certains cas, ce bétail de trait ou de charge, appartenait à la forge elle-même: ainsi, à la fin du XVIIIème siècle, la Forge-Neuve entretenait un énorme troupeau de l'ordre de 400 chevaux. Dans d'autres cas, on faisait appel au concours des paysans, en dehors des périodes de grands travaux ou bien on louait les services de voituriers (charretiers) professionnels. (A Riaillé, on ignore quelles étaient les conditions matérielles d'approvisionnement des Forges.).

Par ailleurs, à la Forge-Neuve, ce système hiérarchisé, allant du directeur aux commis, aux forgerons et pour finir, aux ouvriers et personnel de service, se retrouve évidemment dans le système de rémunération et de son montant. Les professionnels et leurs aides, en grande partie permanents étaient payés soit au mois, soit à la tâche, selon les productions. La mensualisation appliquée au personnel administratif et à certains ouvriers spécialisés répondait à l'intention de fidéliser ces précieux collaborateurs. Les ouvriers saisonniers, étaient payés à la journée. Le fendeur (le fendeur transforme le métal produit en masse, en fers plats découpés en lames) était, semble-t-il, le seul travailleur indépendant: il était rémunéré en fonction du poids de fer traité, à charge pour lui de payer lui-même ses aides.

Les salaires étaient ajustés aux tarifs pratiqués en Bretagne, mais inférieurs à ceux d'autres régions.

On citera pour l'anecdote les niveaux de rémunération (On ne saurait évidemment évaluer ces salaires en pouvoir d'achat... dans les conditions du temps) pratiqués à Moisdon au cours du XVIIIème siècle.

Le Directeur n'a pas un salaire fixe: il est intéressé à la production d'une manière progressive, recevant annuellement entre 3 et 9.000 livres (*), en "moyenne" 5.000 livres par an. Les commis touchaient de 300 à 800 livres par an. En dehors de ces CDI, les employés réguliers étaient payés à la tâche. Le fendeur recevait 32 sous par millier (**) de métal traité. Les fondeurs et forgerons, mieux payés que le maréchal et le souffletier recevaient 20 sous (ou sols) par jour, cela semble modeste, mais ils étaient logés (et chauffés !) gratuitement à proximité de la forge. Les journaliers recevaient environ 12 sous, les voituriers 15 sous, c'est à dire 3 sous pour les bœufs! Les enfants (eh oui!) n'étaient pas mieux lotis que le bétail: de 2 à 5 sous par jour, correspondant au quart ou à la moitié du salaire versé aux manœuvres (de 8 à 10 sous).
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 (*) - La livre tournois, monnaie de compte, valait 20 sous (ou sols). Le sou valait 12 deniers. (**) - Le millier = 1.000 livres pesantes en poids de fonte = environ 450kg.
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A Riaillé, à la fin du XVIIème siècle, la situation n'était pas fondamentalement différente.

En 1662, au moment où se construisait la Forge-Neuve de Moisdon, la Poitevinière recevait un jeune visiteur inattendu, Abraham CRONSTRÖM (1640-1696). Celui-ci appartenait à une puissante famille de métallurgistes et marchands suédois, très liés au commerce hollandais. Ce métallurgiste a voyagé à travers l'Europe dans les années 1660 et notamment en France en 1662.

La seule usine française qu'il ait décrite est celle de Riaillé, rassemblant à la fois la Poitevinière et la Provostière.

(Cf. "Iron and steel on the european market in the 17th century" (version anglaise) Jernkontoret, Stockhom, Suède.)

 C'est à lui que l'on attribue un rapport manuscrit de 96 pages rédigé en allemand, en 1670 croit-on. Ce rapport n'a été découvert qu'en 1982 dans les Archives de la ville d'Oslo. Il décrit en détail les techniques, l'organisation du travail, les salaires du personnel, les coûts de transport vers Nantes. Ce sont autant d'informations exceptionnelles pour l'époque. S'agissait-il d'une opération d'espionnage industriel, avant la lettre? C'est improbable, d'autant que la métallurgie suédoise était à l'époque une des plus puissantes et des plus avancées d'Europe.

Cette mise en avant des forges de Riaillé a sans doute un arrière plan plus commercial que technologique. On doit souligner que lors de cette visite, les fermiers des forges étaient les frères MONTULLE (cf. §) qui louaient à des marchands hollandais, leurs entrepôts de la "Prée de la Gloriette", à Nantes.

Et qu’apprend-t-on dans le rapport d'A. Cronström, qui puisse nous intéresser encore aujourd'hui ? La vie autour des forges de Riaillé à cette époque, tout simplement !

* * *

En voici quelques extraits, d'après la traduction de J.F. Belhoste (1984).

"Le haut-fourneau appelé la Poitevinière, appartient au duc de Vendôme, il est situé dans la baronnie "d'Ancenis,...

"Le bois des alentours est utilisé en grande partie comme bois d'oeuvre et les exploitants doivent en acheter ou en faire acheter à des propriétés privés,.. ...

"Les charbonniers comptent en sacs de charbon. Le sac est payé 5 stüber (sans doute des sous) sur le site du charbonnage. Une meule donne de 40 à 90 sacs de charbon, provenant généralement de chêne.

"Le charbonnier rétribue les bûcherons sur la vente de son charbon,. . .

"Il faut 6 jours pour dresser une meule; elle droit brûler pendant 8 jours.

"Les charbonniers refont le sol (fouée) pour chaque meule, car il leur est plus facile que de transporter le bois. Ils laissent un peu de menus charbons sur les places (fouées). Le commis (au bois) le vend aux cloutiers pour 6 stüber (= sous ?) le tonneau, c'est sa gratification.

"Le minerai est de deux types, un riche mais cassant (riche en phosphore), l'autre bon mais pauvre.

"Le premier est extrait à un mile et demi (7 km, à la Meillerqye ?) au chêne Trovy et coûte cher au transport. Il est peu employé, 2 à 3 fosses, pour 10 du second minerai tiré à un demi-mile du haut-fourneau (en forêt d'Ancenis ?), ils peuvent se retirer avec des pelles ou des pioches.

"Il est transporté à dos de cheval ou de mulet à raison de 6 chevaux par pipe,...

"Il y avait deux fourneaux côte à côte, on utilise des soufflets en cuir qui pouvaient durer de 1 à 2 ans,...

"Il y avait 6 ouvriers: 3 à la coulée, puis trois au chargement plus une femme qui nettoie le minerai,.. .elle reçoit 25 sous (ou sols) par semaine, les ouvriers, 45 sous!

"La castille (castine) est extraite à 2 miles de là (à 10 km, à Erbray), ...

"Près du haut-fourneau se tenait un commis ou un comptable qui comptait le minerai et le charbon "reçu,...

"A la forge, sont employés deux commis,...

"Chaque jour, sortaient 3.000 livres de fonte (x 0,45 = 1,35 tonnes),...

"La perte de poids à l'affinage était d'un tiers,...

"On coulait par jour un poids net de gueuses de 1.800 à 2.000 livres (de 800 à 900 kg),...

"On coulait des moules en fer pour couler des boulets de 6,8 à 12 livres ( de 3 à 5, 4kg),...

"Le marteau se situe à un petit demi-mile (2 km, à la Povostière) en contrebas,.. .

"Le coût de chaque voyage (entre la Poitevinière et la Provostière ?) était de 12 sous,...

"Il y avait 3 foyers (de forge) pour un marteau et 15 ouvriers qui étaient payés au poids de fer produit, les outils leur sont payés à part, de même que les pots de vin (c'est écrit).

"Les ouvriers sont logés gratuitement dans de petites habitations construites pour eux et sont payés en "espèces tous les 8 ou 15 jours.

"En période de chômage, ils recevaient 7 sous par semaine pour leur subsistance.

"Mais à la Poitevinière, au fourneau, les ouvriers étaient renvoyés, sauf le Maître-fondeur, le valet de fonderie et le chargeur,...

"A la forge sont employés deux commis: l'un au charbon, à la production de fonte et aux affaires diverses, le second, à la réception des fontes, à leur expédition et au personnel. Ils étaient nourris gratuitement,...

"On devait faire 2 miles par terre (environ 10 km, jusque'à Nort)) et le reste par eau... pour livrer la "marchandise...

"Le coût du transport (du fer et de la fonte) jusqu'à Nantes, s'élevait à 54 sous (sols) par millier de livres (450 kg) plus 2 sous de droit d'entrée.

"A Nantes, les assortiments les plus demandés étaient les barres à arêtes, longues et aplaties, servant à faire "des fers de charrue et toutes sortes d'outils pour le bâtiment.

"Aucune des forges de Bretagne, ne payait de droit au roi. Les minéraux de France ont le privilège de pouvoir être exploités n'importe où, et avec l'obligation pour les propriétaires du sol d'aménager leur terrain en faveur des inventeurs (les découvreurs), quel que soit l'endroit où il se trouve. Ils ne reçoivent d'ailleurs aucune indemnité pour le transport ou la cession de leur bien.

* * *

Au total, ce document fait état d'une organisation très élaborée à la fois technique, administrative et commerciale.

* * *

Les forges de Riaillé, sur ce plan avaient pris une avance significative sur la Forge-Neuve: elles s'étaient établies depuis des décennies sur un marché largement ouvert sur l'extérieur. Les fers plats et fendus (verges) étaient pour une part repris par des ateliers nantais, en particulier des clouteries.

Le fer breton, riche en phosphore avait la particularité d'être cassant (forte teneur en phosphore), mais pour cette raison se prêtait à la fabrication des clous.

Par ailleurs, le commerce (commerce triangulaire entre le port d'attache, la côte africaine et les Antilles) avec les colonies antillaises via Nantes et Bordeaux et la construction navale, fortement consommateurs d'équipements de toute sorte, avait soutenu l'activité métallurgique des forges avec la production de fers plats et de fonte. Les forges de Riaillé ont longtemps fourni la construction navale en fonte moulée (gueuses ou saumons) destinée à lester les navires et à leur assurer une meilleure stabilité.

Enfin, les forges de Riaillé ont participé modestement aux activités guerrières du temps, se limitant à la fabrication des boulets de canons (destinés probablement à la marine de guerre).

Cependant, quelque temps avant le passage d'A. CRONSTRÖM, en 1629, le Maître des Forges habitant la Provostière Pierre PARIS, avait proposé à Marie de LUXEMBOURG, baronne d'Ancenis de construire à ses frais un ensemble de deux fourneaux doubles "pour faire du canon".

Ce projet n'aboutit pas, en raison probablement du caractère cassant du métal produit à Riaillé (et ailleurs en Bretagne). On lui préférait des fers espagnols et basques, ... moins susceptibles d'éclater sous la pression des boulets!

 

4.6 - L'architecture des Forges de Riaillé, au XVIIIème siècle.

On rappellera qu'à cette époque, ce que l'on appelle par commodité les "Forges': constituait un ensemble éclaté, dispersé,  réunissant un haut fourneau à la Poitevinière, ultérieurement à Pas-Chevreuil, une forge d'affinage, associée à une fenderie, à la Provostière, à laquelle s'ajoutera temporairement une fenderie à la Vallée (Joué sur Erdre). Cet ensemble sera géré par un Maître de Forges commun.

 

4.6.1- Le haut-fourneau et l'atelier de moulage de la Poitevinière.

Le bâtiment est construit en schiste bleu, parfois mélangé à des grès armoricains colorés. On pense que le fourneau actuel a été construit dans la première partie du XVIIIème siècle, mais seules certaines parties du fourneau appartiendraient à la construction initiale.

Dans sa configuration extérieure actuelle, le haut-fourneau se présente sous une forme presque cubique de 9 m de côté et de 8 m de haut. A ses alentours les plus proches étaient répartis des ateliers (appentis précaires) de traitement de la fonte, dont celui du moulage. 

A l'intérieur, la cuve de fusion est de forme ovalaire. Elle est ouverte à ses deux extrémités. Ses parois sont garnies de pierres réfractaires. De nature calcaire, il faut les remplacer tous les ans ou tous les deux ans. 

A sa base, sont aménagées deux ouvertures en forme d'entonnoir, soutenues par des plaques de fonte. L une est destinée à recevoir les becs des soufflets. La seconde permet d'accéder au goulet de coulée par où s'écoule la fonte en fusion. 

A sa base, deux soufflets en cuir d'abord puis en bois, sont actionnés par une roue à augets et entraînés par un réducteur de vitesse (double engrenage), permettent d'obtenir la cadence voulue d'aération. 

Les matières premières: charbon + minerai + castine, sont chargées successivement dans la cuve de fusion par le haut appelé gueulard. Le gueulard se situe au niveau de la jetée pour faciliter les manœuvres.

Dans sa dernière formule (milieu du XIXème siècle) le haut-fourneau de la Poitevinière est surmonté par une cheminée circulaire, cerclée de fer. Ceci a permis d'en conserver la structure. L'atelier de moulage où sont produites les fontes moulées est situé à proximité du fourneau, souvent sous l'appentis qui abrite les soufflets et la halle de coulée.

 Dans le Pays de la Mée. le fourneau de la Poitevinière, éteint en 1868, est le seul survivant de l'aventure métallurgique rurale. Sa sauvegarde est due à la volonté  du propriétaire de l’époque : le vicomte Augustin de Durfort, fils cadet du duc de Lorges. Le fourneau de la Blisière à Juigné les Moutiers), abandonné en 1750, en est à l'état de ruine. A Moisdon et à la Hunaudière, ce type de témoin pourtant plus récent a disparu.

 

4.6.2 - Les halles à charbon.

 La halle à charbon figure parmi les bâtiments les plus imposants d'une installation de Forge. Les volumes à stocker et à préserver sont toujours très importants.  Celle de la Forge-Neuve est célèbre par son volume et par sa charpente.

 Celles de Riaillé sont beaucoup plus modestes et accompagnent les installations. A la Poitevinière, cette halle est adossée à un tumulus de sorgnes, à toucher l'étang. Elle se signale par son caractère massif, ras sur terre, avec deux contreforts (!), l'absence de fenêtres, sauf à son extrémité Est où résidait peut-être un des employés de la forge. Elle fut utilisée de 1925 jusqu'aux années 50 pour abriter un haras spécialisé dans la race bretonne.

A la Provostière, cette halle est encore plus modeste, elle se situe à l'arrière du barrage, accolée à la digue; elle se signale par une grande porte située au niveau de la chaussée.

4.7 - La Forge de la Provostière et sa fenderie .

Le travail de la forge de la Provostière consistait successivement à réduire la fonte en fer :

a)- par un affinage via une nouvelle fusion des gueuses de fonte venues de la Poitevinière

b)- puis par leur martelage à chaud au martinet

Le fer obtenu était mis en barre et  laminé à chaud dans la fenderie, entre 2 cylindres rotatifs en fonte et fractionné en lames de taille réduite (les verges). Celles-ci étaient ainsi prêtes à entrer dans un circuit commercial extérieur.

A la Vallée, dépendant un temps des forges de Riaillé, la fenderie présente était dévolue quant à elle, à la fabrication de clous. Ceci était une forme d'aboutissement d'une politique commerciale pour concurrencer les clouteries nantaises !

Malheureusement, il ne reste aucune trace matérielle de ces fenderies, bien qu'elles aient dû avoir une stature monumentale.

 

4.8 - La maréchalerie et la charpenterie.

Le maréchal et le charpentier sont chargés de l'entretien et de la réparation des installations. Ils travaillent dans un atelier séparé.
Le maréchal (*) fabrique et répare les outils en métal utilisés dans la forge : les pinces, tenailles, ringards (**), marteaux et les pièces nécessaires aux mécanismes.
Le charpentier est chargé de la construction et des réparations des bâtiments, mais il était surtout responsable des mécanismes en bois.
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(*) - la séparation entre le maréchal de la forge et le maréchal-taillandier ne nous est pas connue, en ce qui concerne Riaillé

(**) - barre de fer utilisée pour manipuler les grosses pièces à forger.
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4.9 - L'habitat autour des Forges.

Le complexe d'habitat construit à la Forge-Neuve se présente de façon explicite au visiteur (maison de maître, "cité ouvrière" organisée en longère). A la Poitevinière, l'organisation du "Village métallurgique", paraît encore indéchiffrable. Selon Belhoste et Maheux (1982, op.cit.) des maisons d'ouvriers extérieurs à la Forge s'entremêlent avec les habitations des forgerons, mais aussi par des maisons de paysans .
Ceci ne paraît pas insurmontable: on peut au moins dater ces maisons en utilisant un paramètre significatif, qui est l'épaisseur des murs. Celle-ci a décru au cours des siècles. A l'inverse, de la fin du Moyen-Âge au XVIII ème, les fenêtres se sont agrandies !. Il est vraisemblable aussi que les maisons les plus anciennes (XVIème), sûrement modestes, aient été remplacées peu à peu par de nouvelles constructions, ... un peu moins modestes (De "mon jeune temps"(années 1940-1950) nombre d'habitations de la Poitevinière cependant, avaient conservé des places en terre battue.).

Il y a là un chantier d'investigations pour des Riailléens qui voudraient compenser les insuffisances de l'Inventaire de 1982.

Dans ce document, n'apparaît qu'une certitude, le logement du commis au fourneau a été occupé par le meunier (DUPUIS) après son départ. Mais où logeait-il avant ? . A la Poitevinière, le moulin à blé avait précédé de loin, la mise en place du fourneau.

De plus, le logis (ou manoir ?), connu localement comme la "maison HUGUENIN", visiblement une maison de maître datant du XVIIème siècle, n'a pas fait d'objet d'une affectation particulière dans ce rapport. .

Enfin, Il subsiste dans la mémoire collective que Gilles TREBUCHET (1620-1684), Maître fondeur à la Poitevinière et accessoirement arrière-arrière-grand-père de Victor HUGO, a habité une maison au centre du village (largement remaniée, ayant appartenu à la famille Louis COLIN). Elle se signalait par un escalier extérieur, posé en facade. Elle date du XVIIème. Dans l'Inventaire de 1984, elle est attribuée au commis au fourneau.

L'organisation de la Provostière, requièrant visiblement moins de personnel semble mieux connue. Selon Belhoste & Maheux (op. cit.), les commis logeaient dans un bâtiment à deux niveaux, couvert d'un toit à longs pans, construit sur une dénivelée qui faisait face à la forge. L'étage de soubassement (rez- de chaussée ?) donnant sur la "cour", devait servir de magasin.

Pour qui connaît les lieux, on peut imaginer le niveau de promiscuité imposé à cette époque, aux forgerons. La destination de la maison attenante au canal d'évacuation des eaux de l'étang (dite la "maison du Garde" ou maison HALET ("massacrée" depuis, pour en faire une auberge, crépie dans une couleur à la mode américaine.), pourtant repérable à l'époque de l'Inventaire par un escalier extérieur en pierres, comme la datant du XVII ème, , n'avait pas retenu l'intérêt des enquêteurs (Il est très probable que l'immense et magnifique .four à pain qui y subsiste ait servi à nourrir les "forgerons".).

Par contre, ceux-ci ne pouvaient ignorer le "Logis", un manoir construit à la fin du XVIème ou au début du XVIIème, par un fermier des forges (Pierre PARIS, ou son prédécesseur ?..) , à 200 mètres au Sud de la Forge. Il s'agit d'une demeure élégante, aux fenêtres et angles entourés de tuffeau en provenance de l'Anjou). Le bâtiment est construit sur 3 niveaux avec un étage de combles, autrefois garni de quatre échauguettes. Il n'en subsiste qu'une, au Nord-est du bâtiment. Une tourelle d'angle, carrée, permet d'accéder aux étages . A la fin du XVIIIème siècle, ce "Logis" était appelé la "maison du Pigneux '’ du nom de sa propriétaire du moment: Madame du Pigneux. Il fut longtemps occupé par la famille d'Eugène HUARD, auprès de laquelle on peut obtenir des informations précieuses et vivantes. Il a été restauré dans des conditions très convenables par son dernier acquéreur.

 

4.10 - Les managers dans un contexte en évolution.

A partir du début du XVIIème, la métallurgie bretonne s'est développée et modernisée, en s'ouvrant sur l'extérieur, en faisant largement appel à des entrepreneurs et des techniciens venant de régions plus avancées.

Le premier fermier de la Poitevinière, qui figure en 1600 dans les archives notariales, est Jacques BELOT. On ne connaît pas l'origine exacte de ce personnage. Cependant, il avait épousé Catherine GUILLOT, veuve de Pierre (1) PARIS, bourgeois d'Alençon, capitale de la riche métallurgie du Bocage Normand et grand centre protestant. Des relations similaires s'établissent aussi avec la métallurgie du Maine, avec la candidature au bail de la Poitevinière, en 1614, de Lancelot DUCHESNAY, probable Maître de Forges à Pouancé.

Au décès de Jacques BELOT, en 1611, le fils de Catherine GUILLOT, Pierre (II) PARIS, issu de son premier mariage avec Pierre (1) PARIS, et son gendre Raoul MONTULLE, tous deux résidents à Alençon, prennent la suite de leur beau-père Jacques BELOT. Ses deux fils François et Claude MONTULLE lui succèderont, tout en s'implantant en même temps à Nantes, dans le quartier (portuaire) de la Fosse en vue d'y commercer les fers produits par les Forges de Riaillé, mais aussi celles de la Hunaudière, voire de Pouancé dont leur cousin Galais BELOT est fermier. La métallurgie de Haute-Bretagne a tiré de ces "greffes" une incontestable modernité.

En témoigne la mise en place de fenderies, utilisant l'énergie hydraulique et particulièrement adaptées à la fabrication de fers à clous, la spécialité des forges bretonnes.

Cette invention avait été mise au point à Liège à la fin du XVIème siècle. Les premières installations en Bretagne datent de 1623. C'est sans trop de retard, en 1639, que la fenderie apparaît à Riaillé. En atteste la domiciliation de Claude MONTULLE, directeur des Forges, à la Fendrye en Riaillé.

Cette même année, les deux frères MONTULLE font conjointement l'acquisition du moulin à tan de la Vallée et des terrains avoisinants pour y construire une forge, après avoir loué deux ans plus tôt à l'abbaye de la Meilleraye, le moulin de Pas-Chevreuil, pour y construire un haut-fourneau.

Tout porte à croire que l'ensemble a été construit peu après 1639, à la fois pour accroître la capacité de production de l'entreprise et pour développer une nouvelle technologie particulièrement rentable.

Alors qu'en début de période, on pouvait considérer que la métallurgie haute-bretonne comme une annexe à d'autres métallurgies régionales (Normandie, Maine et Basse-Loire). Elle prit son autonomie grâce au commerce nantais alors en pleine expansion (entre 1550 et 1650), à une époque où l'importation de fers espagnols et basque s'était tarie. Ceci explique le succès de la stratégie de conquête développée alors par les MONTULLE et leur parentèle.

Installé à Nantes, François MONTULLE épouse en 1637 la fille d'un entrepreneur nantais de batellerie et fait l'acquisition de la seigneurie de Longlée, à Nort- sur- Erdre, le grand port de transit des fers du moment. Sur son conseil (?), sa sœur Françoise épouse le fils d'un négociant nantais important: Antoine­François de MALLE VILLE disposant d'entrepôts et de magasins. Le sieur de Malvillle lui accordera sa confiance et on retrouvera les deux beau-frères, associés au moins jusqu'en 1660 dans la gestion des Forges de Riaillé. Au total, François MONTULLE devenu sieur de LONGLEE, cumulera alors les fonctions de négociant et de Maître de Forges de Riaillé et de Pas-Chevreuil. Après avoir accédé à la haute société marchande de Nantes, François MONTULLE verra sa descendance féminine exclusivement, s'écarter du milieu marchand. Il s'agit là d'une trajectoire familiale exemplaire (Vers la fin du XVIIIème siècle, jusqu'à la fin du XIXème, on assistera à une autre saga familiale centrée autour des Forges, celle des DEMANGEAT, ... tout aussi exemplaires !.)

4.11 - Et les Rialliéens dans tout çà ?

Il nous semble que Riaillé ait été pour les Maîtres de Forges une sorte de "terre de colonisation". Les autochtones ont été cantonnés pendant trois siècles dans des tâches secondaires: celles du service des Forges, au "quotidien", sans qu'aucun d'entre eux n'ait jamais figuré (jusqu'à plus ample information) dans l'organigramme des Forges. On sait que le petit monde des Forges était un monde fermé, du haut en bas de la hiérarchie. Par ailleurs, les "techniciens" de la Forge, comme il a été déjà signalé, ont une tendance commune à migrer d'une Forge à l'autre, allant offrir en toute sécurité (ou négocier ?) leurs services, assurés dans tous les cas d'être logés sur place et soutenus par un solide réseau d'affinités fàmiliales. Ce ne sont donc pas des "errants", mais il n'en est moins impossible d'attribuer un "label" de Riailléen à la plupart des "techniciens" connus à cette époque.

C'est grâce à des travaux de recherches généalogiques, que l'on a découvert quelques acteurs de l'activité des Forges, n'ayant fait qu'une étape à Riaillé dans leur parcours professionnel.

C'est ainsi qu'apparaissent dans la généalogie des LAUMAILLE :

René GODET, affineur ou marteleur à la Provostière, dans les années 1660, Pierre LAUMAILLE (1670-1707), affineur à la Provostière et Jan GAUCHER, valet d'affineur à la Provostière qui épouse en secondes noces, en l'année 1695, la veuve de Patrice LEMAILLE.

Par ailleurs, dans la longue lignée des FRANCO, apparaît François FRANCO, Maître fondeur à la Poitevinière, époux de Renée GUERIN, appartenant à une famille d'affineurs.(Amand FRANCO (1820-1876) créera en 1856 la première fenderie de Châteaubriant. Les Etablissement HUARD prendront la suite.)

Les LUNEAU constituent une lignée exemplaire de professionnels attachés au métier, mais aussi, ce qui est plus rare, aux Forges de Riaillé, on peut suivre la parcours de cette famille sur cinq générations (G 1 à G5), se succédant sur plus d'un siècle, entre 1650 et 1780.

Dans la seconde moitié du XVIIème siècle, apparaissent les "fondateurs" (G 1) : quatre LUNEAU sont affineurs ou Maîtres affineurs, soit à Martigné, à la Hunaudière ou dans l'Orne.

Les trois LUNEAU de la seconde génération (G2) sont toujours des affineurs. L'un d'entre eux, Jacques est sans doute le premier à s'être installé à Riaillé où il décédera le 13 juillet 1740.

Jacques LUNEAU aura cinq enfants (G3) dont quatre filles qui toutes épouseront des forgerons de Riaillé dont Jean Baptiste TREBUCHET, Maître fondeur à la Poitevinière. Le seul garçon de la fratrie,.Jean (I) LUNEAU, est Maître affineur à la Provostière.

Son fils (G4), de même prénom, Jean (II) (1738-1787) est né à Riaillé où il sera affineur à la Provostière. Il épousera Françoise CHAUVEL, elle-même affiliée à des forgerons bas-bretons (les FRANCO).

Le dernier de la lignée (G5), Jean (III) (1762-1799) sera d'abord affineur à Riaillé, puis laboureur, sans doute au Grand-Auverné où il mourra en 1799. (source: M et Mme Emmanuel LUNEAU (1984)

Quelques personnages, plus célèbres par leur descendance que par leur passé riailléen, méritent au moins qu'on décrive leur parcours. Il s'agit des TREBUCHET, fondeurs. Le plus riailléen des TREBUCHET est Gilles (1620-1684), maître- fondeur et fondeur à la Poitevinière. Avec son épouse Anne ROUSSEAU, ils auront 3 enfants. Leur fille Renée, épousera en 1704 un Maître-fendeur de la Vallée. Leurs deux garçons, Jean et Guillaume deviendront maîtres-fondeurs à Moisdon et épouseront en 1708 et en 1716 une fille et une petite fille de "forgerons" locaux. Dans la génération suivante (1711-1731), on retrouve 3 maîtres mouleurs ou fendeurs, mais aussi... un "mouton noir", un capitaine de navire, Jean-François TREBUCHET (1731-1783).

Sa fille Sophie (1772-1821) épousera Léopold Sigisbert HUGO, officier républicain chargé de la protection des forges de Moisdon contre les attaques des Chouans. Ils auront un enfant "assez" célèbre: un certain Victor HUGO, poète.

 

4.12. Eléments sur le fonctionnement des forges de Riaillé dans la seconde moitié du XVIIIème siècle.

Quatre documents sont proposés dans les « Notes de l’abbé Trochu » diffusées par Noël BOUVET (on line). Elles décrivent cette activité. ... et les difficultés de l'époque.

Les deux premiers se situent dans une période de crise : ce sont les rapports de deux fermiers successifs MM. Jacques BRICQUET de la Grave et Michel DUBOIS. Ils précèdent largement la période révolutionnaire; ils sont datés respectivement de 1756 et de 1765.

Le troisième de 1796, émane du fermier du moment Olivier DUBOIS. Il fait état de la destruction de la Forge de la Poitevinière par les Chouans.

Le dernier clôt le siècle, en 1800, après que les troubles révolutionnaires ou insurrectionnels se soient quelque peu apaisés. Il émane de l'initiative de la propriétaire, la duchesse de CHAROST, alarmée par le rapport catastrophique d'Olivier DUBOIS. (On rappellera que le duc de CHAROST n’émigra pas et qu’il conserva tous ses droits de propriété durant la Période révolutionnaire.)

Ces documents ne sont pas superposables, ni comparables, en raison de leur différence de contenu.

1756

Monsieur BRICQUET, un "bourgeois" originaire de l'Indre avait été sollicité en 1755, par un proche collaborateur du duc de CHAROST pour s'occuper des Forges de Riaillé, bien qu'il n'eût aucune compétence en métallurgie. Sa gestion fut mauvaise, embarrassée surtout par un interminable procès avec les fermiers précédents (Michel OLIVIER et associés). De cette gestion, on put dire que «  depuis qu'il y avait des forges, on n'avait point vu une pareille affaire ».

Jacques BRICQUET fut plus occupé à réclamer des indemnités à ses prédécesseurs qu'à faire fonctionner les Forges. Il est décédé à Riaillé, à 38 ans, le 23 novembre 1762. Ses successeurs, deux Maîtres de forges mayennais plus expérimentés: Olivier DUBOIS et Julien LECLERC de la Flecheraye et leurs descendants, conserveront la gestion des Forges de Riaillé jusqu'à la fin du XVIIIème siècle.

Que nous apprend le document de 1756  sur la situation des Forges de Riaillé : à la Poitevinière, la Provostière et à la Vallée, au début du "règne" de Jacques BRICQUET ?

L'ensemble du personnel comprend 142 personnes: 6 commis, 18 forgerons qualifiés, 4 charbonniers, 16 sacquetiers, 40 bûcherons, un forgeron, un souffletier, etc.

La main d'œuvre chargée de la conversion de la fonte en fer coûte un neuvième (11 %) du prix du fer.

Le fourneau de la Poitevinière fonctionne pendant 8 mois par an. Il peut produire 5 milliers de fonte (un millier vaut 1000 livres pesantes, poids de marc = 485,9 kg; en poids de fonte = 450kg.) par jour en moyenne, (environ 2,3 tonnes) ou au total dans l'année, environ 1.200 milliers équivalant à 540 tonnes. La fonte convertie en fer laisse un tiers de déchets. Les Forges de la Provostière et de la Vallée convertissent les 1.200 milliers de fonte en 800 milliers de fer (environ 360 tonnes).

La fonte de la Poitevinière permet de fabriquer des boulets simples, des boulets rainés, enchaînés par paires, des marmites et des ustensiles divers. En temps ordinaire, la fonte employée pour faire des ustensiles ou des lests de bateaux se vend 70 livres  le millier pesant (d'après les « Notes de l’abbé Trochu » diffusées par Noël BOUVET (on line) , mais en temps de guerre, le millier pesant de boulets se vend 90 livres et même 100 livres . Sur le "marché" de Nantes, la fonte se vend 50 livres et le fer trois fois plus cher 150 livres le millier.

1765

Et que nous apprend le rapport rédigé neuf ans plus tard en 1765, par Michel DUBOIS?

Les Forges sont à 7 lieues (Sans doute la lieue de Bretagne = 4, 581 km) de Nantes. On mène les fers jusqu'à Nort par voie de terre, puis de Nort à Nantes par voie d'eau.

Le fourneau de la Poitevinière travaille ordinairement de 8 à 9 mois. Il produit jusqu'à 150 milliers de fonte par mois, soit de 1.200 à 1.350 milliers par an.

La forge de la Provostière est à trois quarts de lieue en dessous. Elle travaille toute l'année, son étang étant plus vaste (En fait, elle utilise les réserves cumulées des étangs de la Poitevinière et de la Provostière.). Elle produit environ 100 milliers par mois (environ 600 tonnes par an).

La forge de la Vallée est située plus bas que la Provostière avec un petit étang. Elle sert surtout à faire des clous.

La location des trois établissements et de la métairie du Tertre est de 8.500 livres. La sous-location de la métairie de 200 livres sert à payer le Commis de la Vallée.

On dispose d'un fond de roulement de matière et d'approvisionnement pour une valeur de 36.144 livres et 10 sols qui appartient au propriétaire le duc de Charost. Selon les apparences, la situation des Forges est tout à fait saine. Elles ont conservé leurs capacités de production.

1794-1796

Le Maître des Forges du moment, Olivier DUBOIS verra son œuvre détruite à la suite d'un coup de main des Chouans . La Chouannerie: mouvement insurrectionnel populaire qui s'est développé au Nord de la Loire, à partir de 1793, en même temps que déclinait le mouvement vendéen. Les Chouans constituent des groupes mobiles, coutumiers de coups de main spectaculaires sans pour autant tenir militairement la région ou enrôler collectivement les populations locales. La guérilla chouanne persistera jusqu'à la fin du Consulat en 1799.

En quoi l'attaque des Forges de Riaillé pouvait-elle consolider la position du mouvement anti-révolutionnaire ? Pouvait-on reprocher au propriétaire Armand-Joseph de Charost, d'avoir été libéré des geôles républicaines, après Thermidor, en 1794. Le Maître de forges quant à lui, semble avoir conservé une position favorable à la monarchie. L'objectif le plus probable est la destruction d'un établissement industriel travaillant pour une République détestée.

L'attaque eut lieu en juin 1794 (19 prairial an II). Les moyens de production du fourneau de la Poitevinière ont été réduits à néant. Dans le même temps, O. DUBOIS et ses associés seront exposés à des difficultés commerciales et financières sans précédent. Il en rendra compte au duc de CHAROST, par un rapport en date de 1796, se déclarant dans l'incapacité de régler son fermage.  Voici un résumé du rapport d'Olivier DUBOIS.

" Après l'incendie de la halle de Poitevinière, des soufflets et d'une partie des rouages (en bois), la forge de " la Provostière est en chômage, après avoir utilisé les vieilles fontes. Après une coûteuse remise en état du  fourneau et la reprise de la fabrication du charbon, les Chouans ont renouvelé et étendu leurs menaces à  l'ensemble des Forges.

" Certains associés ont vu leurs biens, soit séquestrés et saisis par la Nation ou pillés et ravagés. Ils se  trouvent privés de revenus, sans pouvoir secourir leurs ouvriers totalement démunis.

" Les fers fabriqués depuis la Révolution  et qu'on les a obligés de vendre, ont été payés en assignats (Monnaie de papier, crée en 1789 par la Révolution, d'abord gagée sur la vente des biens du Clergé. Elle perdra dès 1791 toute valeur d'échange. Elle cessera d'avoir cours en juillet 1796).

" La détresse où ils (les associés) se trouvent, les met hors d'état de vous offrir du numéraire.

" Dans des malheureuses circonstances, Monsieur, (la Société) ose encore réclamer la protection que vous " lui accordez depuis trente ans. Elle espère de votre bonté et de votre justice que vous aurez égard à sa  position, aux pertes qu'elle souffre depuis près de deux ans et à celles qu'elle ne peut manquer d'éprouver jusqu'à la paix et la tranquillité.

" Nous sommes avec respect, Monsieur, vos très humbles et très obéissants serviteurs (sic).

Ce texte témoigne de la situation inextricable dans laquelle se trouve un M. DUBOIS de tendance monarchiste, soumis malgré lui aux nouvelles lois de la République, et devenu quand même la cible des Chouans !

Le duc Armand Joseph de Charost, récemment libéré de prison et plus intéressé par ses forges du Berry qu'à celles de Riaillé, met celles-ci en vente pour la somme de 500.000 francs (= 500.000 £t). La famille du régisseur de la Forge de Moisdon Fidèle Armand GARNIER, notoirement républicaine, fait une proposition d'achat, mais refuse les conditions du duc, en invoquant la raison suivante: " Il faut considérer la vétusté des bâtiments, des forges qui sont je crois, les plus anciennes de la ci-devante (sic) Bretagne".

C’est ainsi que les Forges de Riaillé resteront propriété des de Charost. Le duc de Charost décédera en 1800 et ses biens seront désormais administrés par son épouse Henriette Adélaïde de Tourzel.

1800

Le rapport de M. LAHEU des AYRAUDS remis en 1800 à la duchesse de Charost fait écho au précédent, mais il a un tout autre contenu. Il est beaucoup plus inquisitorial que les précédents et s'apparente à un "audit" financier, tel qu'on le conçoit de nos jours.

L'enquêteur sur place est Victorien VIGNAL, garde-chef des Eaux et Forêts du domaine seigneurial. En face de lui se trouve le Directeur des trois Forges, François MESLIN considéré comme le restaurateur des Forges, après l'attaque de 1794.

On ignore qu’elle était la qualité des relations entre les deux hommes. Quoi qu'il en soit, le rapport de V.VIGNAL fut sévère. En dehors de ses aspects financiers, le document nous informe aussi sur la structure et le fonctionnement des Forges à la fin du XVIIIème siècle.

F. MESLIN déclare une production de 1.000.000 livres de fer par an , soit 500 tonnes (?), et un bénéfice annuel de 39.330 £t (£t pour Livre-tournois, afin de distinguer cette unité monétaire, de la livre unité de poids.) sur un chiffre d'affaires de 185.000 £t, soit 21 %.

Ceci parait confortable. L'enquêteur contestera son bilan en l'accusant d'avoir surestimé ses coûts pour un montant de 15.000 £t. Ce n'est pas à notre avis la partie la plus intéressante du document.

En effet, on y apprend la répartition des salaires et des charges de fonctionnement de l'établissement.

Le Directeur reçoit évidemment la plus forte rémunération: 7.000 £t par an. Le savoir faire des techniciens est reconnu. Ils sont nettement mieux payés que le personnel administratif. Le Maître fondeur et le marteleur perçoivent 1.200 £t par an. Le Maître charpentier et les chauffeurs reçoivent 1.000 £t. Les chefs affineurs et leurs aides (valets) perçoivent à peu près le même salaire, respectivement 950 et 850 £t.

Les "cols blancs" ou commis, ont une position inférieure. Le premier d'entre eux, le commis aux comptes (trésorier) touche 600 £t par an, juste un peu plus que les valets (500 £t). Les commis au bois et au fourneau se situent à 300 £t, au même niveau que le fondeur et les gardes. Les plus mal lotis sont les journaliers et laveurs de minerai attachés aux Forges, avec un salaire de 220 £t, soit environ 15 sous (ou sols) par jour.

Au total, l'écart entre les salaires au sein du personnel subordonné était du même ordre de grandeur qu'actuellement: le rapport entre les extrêmes étant de 5,45.

Par ailleurs, on y découvre que la forge utilise 9.000 cordes de bois, dont 2.000 sont fournies gratuitement par le propriétaire de la forêt d'Ancenis, le complément devant être acheté ailleurs. Une fois transformé, ce bois donnera 40.000 sacs (!) de charbon.

On ne s'étonnera pas que l'approvisionnement en combustible ait représenté la part la plus importante du budget dépenses: 76.360/130.670 £t, soit 58%. En comparaison, l'acquisition des autres matières premières est d'un coût assez modeste; respectivement 9.500 £t pour 2400 pipes de minerai et 1.500 £t pour la castine.

Pour l'anecdote, on invite le lecteur à imaginer l'agitation, qui entourait sous Bonaparte, les Forges de Riaillé prédestinées à fabriquer des boulets de canon, des ferrures et des clous pour la Royale puis pour la Marine du Premier Consul. Qui saura si des boulets ou des saumons de lest, fabriqués à la Poitevinière sous la Convention ou le Directoire (La Convention: 1792 - 1795. Le Directoire: 1795 - 1799.) ne stagnent pas encore dans les fonds marins au large d'Aboukir, le village égyptien au large duquel eurent lieu de furieux combats navals entre les Anglais et les Français conduits par Bonaparte. En effet, le 1er août 1798, beaucoup de nos boulets ratèrent leur cible et nous fûmes battus.

Restons dans l'anecdote, c'est à dire dans le champ des critiques de détail concernant les "manipulations" supposées du bilan présenté par F. MESLIN.

Selon le rapporteur, le volume des ventes de fer et les recettes réelles sont minorées: les bénéfices réels sont près du double de ceux déclarés, sans compter la dissimulation de profits et de revenus.. V. VIGNAL, en bon forestier, rappelle que la production de bois varie d'une coupe à l'autre, et que les forges ont bénéficié d'un lot gratuit dépassant les 2.000 cordes prévues par contrat. Incidemment, il constate le bon fonctionnement du fourneau de la Poitevinière. Il a en commande 100.000 livres de boulets de tous calibres (environ 45 tonnes). Il produit en outre des saumons de lest ainsi que des marmites, chaudrons, chaudières et tous ustensiles.

Il se félicite enfin des conditions de fonctionnement de la Forge de la Provostière, qui dispose d'une réserve d'eau suffisante pour fonctionner en continu. Elle n'a été mise en chômage qu'une seule fois en 25 ans. La situation est moins favorable à la Poitevinière où les périodes de chômage pour manque d'eau, durent de 2 à 3 mois, comme dans les établissements voisins.

Bien qu'aucune conclusion de nature historique ne puisse être tirée de ces trois documents; il semble qu'ils nous révèlent au moins la capacité de production des Forges et sa stabilité au cours de cette fin du XVIIIème siècle. Dans les conditions de fonctionnement normal, elle se situe autour de 1.000.000 de livres poids de fonte, soit environ de 450 à 500 tonnes de métal par an. Si on considère que le fourneau fonctionne entre 200 et 300 jours par an, il produit en moyenne, environ 2 tonnes de métal par jour (pour l'anecdote, une telle masse permet en théorie de fabriquer 660 boulets de canon de petit calibre (3kg).) ou encore 16 t par fournée (une fournée dure 8 jours). Ce chiffre semble représenter sa capacité limite, dans une configuration technique inchangée au cours de ce demi-siècle.

Il semble au final que F. MESLIN ait réussi l'exploit de rétablir en deux ans cette productivité à son niveau normal. Malgré les accusations formulées contre lui, l'héritière du duc de Charost, Madame de TURZEL, lui assurera une "promotion" en lui attribuant en 1803, le bail des Forges de Riaillé. A moins que la duchesse ait pensé tirer le meilleur parti d'un homme aussi habile, sachant que les braconniers sont les meilleurs gardes-chasse. A moins que F MESLIN ne se soit suffisamment enrichi pour accepter sans état d'âme les conditions imposées par la duchesse. C'est sans doute le seul cas où un directeur de Forges de Riaillé ait accédé à la fonction de Maître de Forges. F. MESLIN se verra reconduit dans ses fonctions jusqu'en 1812.

Cette chronique clôt d'une certaine manière la période la plus faste des Forges de Riaillé.

A la fin du XVIIIème siècle, celles-ci entrent alors dans un monde de compétition où l'avantage appartient aux grandes installations utilisant le charbon de terre et son dérivé: le coke, au lieu du charbon de bois. Dans le même temps, se développe une société industrielle, implantée le long de grandes voies de circulation et productrice de produits de plus en plus nombreux et de plus en plus sophistiqués.

Il se passera la même chose qu'au XVIéme où les haut fourneaux avaient mis à mort les bas fourneaux. Au XIXème siècle, les haut fourneaux ruraux sont dans l'impossibilité absolue de répondre à cette évolution. Ils continueront néanmoins de fonctionner en assurant des services secondaires. Leur survie durera presque un siècle et traversera des épisodes politiques allant du Premier Empire à la seconde Restauration, mais sans que ceux-ci aient cette fois, la moindre influence sur leur évolution.

 

5. L'INDUSTRIE METALLURGIQUE RURALE AU DEBUT DU XIXème SIECLE.

 

Paradoxalement, on dispose de moins d'informations précises sur le fonctionnement des Forges de Riaillé au cours de cette période que dans le demi-siècle précédent (On croit savoir que ces infirmations sont enfermées dans des archives familiales, soigneusement protégées et qui à ce jour sont restées inaccessibles.).

On aura donc recours aux textes déjà publiés qui sont loin d'éclairer notre "lanterne" sur l'agonie et la mort des Forges de Riaillé.

De toute évidence, l'augmentation des besoins en métaux ferreux avait commencé beaucoup plus tôt. On avance des chiffres de production de 40.000 tonnes (T) de fonte en France en 1740, contre 130 - 140.000 T en 1789. Pendant que la métallurgie de l'Ouest marquait le pas, les Forges de Riaillé en étaient restées à une production inchangée d'environ 500 T par an. Celle de la France avait doublé ou triplé sa capacité de production dans des régions beaucoup plus actives, comme la Champagne, la Flandre, la Franche-Comté et la Lorraine.

Les bouleversements de 1789 avaient aussi modifié la structure de propriétés des Forges et les avaient davantage finalisées au service d'une Révolution conquérante. Une fois apaisés les tourments de la Révolution et de l'Empire, en 1827, la production française de fonte au charbon de bois restait néanmoins conséquente: 194.166 T (sic), contre moins de la moitié: 90.000T produits au coke (Le coke, découvert en 1735 par Abraham DARBY résulte de la calcination de la houille à l'abri de l'air (pyrolyse) pour éliminer les produits volatiles qu'elle contient et augmenter son pouvoir calorifique sous un volume réduit. Il s'agit d'un procédé analogue à celui de la fabrication du charbon de bois.).

Parallèlement, la production de fer par le charbon de bois relativement à la houille, se situait dans les mêmes proportions, respectivement 102.472 T contre 41.069T. Les propriétaires, héritiers de l'ancienne noblesse, étaient restés attachés à ces revenus tirés d'un patrimoine foncier et forestier, rentable depuis si longtemps.

Dans notre région, au cours du premier tiers du XIXème siècle, le développement des forges anciennes comme lndret (1777) et la construction de nouvelles forges modernes, en Bassse-Loire et à Hennebont, grosses consommatrices de fontes, avaient suscité un regain de projets chez les gestionnaires des fonderies rurales de l'intérieur des terres (Traditionnellement, les Forges de Riaillé .fournissaient la zone de la Basse-Loire et Rochefort via Nort. Celles de Moisdon fournissaient davantage les établissements de la Bretagne-Nord, via Redon.).

Pour mémoire, on recense dans les deux premières décennies, la construction de 2 nouveaux fourneaux en Ille et Vilaine. Dans la décennie suivante (années 1830), se construisent 3 haut fourneaux traditionnels dans le Morbihan.

Pendant le même temps, se construisent des forges modernes - à l'anglaise - (Forges utilisant le coke et pratiquant une réinjection de gaz chauds dans la cuve de fonte, ou puddlage (cf Henry CORT, 1784).) entre 1821 et 1824 à Basse­Indre et en 1826, les forges d'Hennebont, près de Lorient et en 1827, celles de la Jahotière en Abbaretz,.

N.B. - L'euphorie qui avait stimulé les métallurgistes entre 1820 et 1830, avait .franchi les murs de l'abbaye de la Meilleraye. La Trappe avait été rétablie dans ses droits en 1817. Elle fut reprise en main par Dom ANTOINE (Anne Nicolas Charles SAUNIER de BEAUREGARD) au retour de son exil anglais. Fort de cette expérience, Dom Antoine se révéla à la fois agronome, "mécanicien" et maître en forgerie. Il assainit l'étang du fourneau de Pas-Chevreuil. Il crée des prairies artificielles au ray-grass. C'est aussi un ingénieur qui fit construire des ateliers de charronnage, et de fabrication d'outils agricoles, comme des charrues "écossaises" ou des herses lourdes.

Il s'improvisera comme forgeron, après s'être laissé entraîner dans le sillage d'Achille JOUFFROY d'ARBANS (1785-1859), un homme au parcours aventureux, imaginatif mais velléitaire. Achille Jouffroy est responsable de la création (1827) de forges modernes à la Jahotière, à Abbaretz. Dom Antoine tenta sa chance, tout en se méfiant de Jouffroy, après avoir constaté la présence de minerai dans le domaine du monastère et cru y voir aussi du charbon de quoi rêver !

En 1827, il conçoit un projet de construction de haut journeaux au coke, en vue d'alimenter Basse-Indre, mais aussi de fabriquer des saumons pour la marine, en concurrence directe avec le fourneau de la Poitevinière, à la fois comme fabricant des mêmes produits, mais aussi en tant que détenteur de minerai utilisé à Riaillé.

L’affichage de ses opinions légitimistes lui jouèrent un mauvais tour. Il fut à nouveau expulsé en 1831 et la société civile qui avait repris le projet fit immédiatement faillite.

 Les Forges de Basse-Indre font face aux anciennes forges d' Indret, construites peu avant la Révolution, en 1777 et spécialisées depuis longtemps dans la fabrication de canons.  Elles sont conçues comme des usines d'affinage de la fonte, fonctionnant avec des charbons de terre d'origines diverses dont ceux de Mouzeil et de Langueil (Nort s/Erdre). Elles sont équipées d'une machine à vapeur de 55CV pour faire fonctionner 3 types de laminoirs différents. Elles ont été dimensionnées pour produire de 5 à 7.000 T de fer par an (L'équivalent de la production d'environ 10 à 15 .fourneaux traditionnels)

 Dans le même temps, la demande sociale et industrielle en produits ferreux élaborés, entraîne la création d'ateliers nantais spécialisés. Cette période d'euphorie pour les forges rurales (dépendantes, elles du charbon de bois !) se poursuivra jusqu'en 1860, à la veille d'une catastrophe générale et brutale.

 En 1837, les forges de Pouancé se dotent d'une machine à vapeur. Celles de Moisdon suivent de peu, en 1847 et dans le même temps celle de la Poitevinière, pour réinjecter dans le fourneau les gaz chauds émanant du gueulard. La période 1850 - 1860, sera une nouvelle. phase d'euphorie pour les Forges de d'Ouest. Auguste GARNIER propriétaire des Forges de Martigné, achète la Forge-Neuve en 1851. Basse-Indre afferme la Poitevinière et une dépendance des Forges de Pouancé, entre 1853 et 1855. Entre 1856 et 1858, la production de fonte est déficitaire et son prix est élevé. Ceci explique les projets de construction de deux nouveaux haut fourneaux à Sion et Martigné,.en 1856 et 1857.

On ne s'étonnera pas si on retient que la Société gestionnaire de Basse-Indre s'était assurée en décembre 1853, de la fourniture de fonte riailléenne, en prenant, auprès du duc de LORGES, le bail des Forges de Riaillé, pour une durée de 9 ans, avec disponibilité de coupes de bois de la forêt d'Ancenis, dans des conditions similaires à celles pratiquées au siècle précédent.

Les dernières initiatives des métallurgistes ruraux précéderont de peu la catastrophe finale. En 1856, les ouvriers de la Hunaudière projetaient encore de construire un fourneau traditionnel. En 1857, GARNIER, le propriétaire de la Hunaudière en prévoyait l'extension ainsi que la construction d'un haut-fourneau à Martigné.

A la même époque, les Forges de Basse-Indre, sont de bons clients de celles de Moisdon et de la Poitevinière. En 1855, une évaluation de ses stocks recense un lot de 350 tonnes de fontes dites "Garnier"et de 300 tonnes dites "Demangeat", désignant les responsables de ces deux établissements. Ces tonnages représentent à peu de choses près la production annuelle de fonte commercialisable de chacune de ces deux Forges. La reprise in extremis de la Forge-Neuve de Moisdon par Basse-Indre en 1861, n'empêchera pas sa fermeture l'année même. La Hunaudière fermée en 1860, repartira en 1873 et continuera d'assurer les besoins locaux jusqu'en 1883. Les Forges de Riaillé disposeront d'un répit et ne fermeront qu'en 1868.

L'élimination fulgurante de ces forges rurales, a l'apparence de l'effondrement d'un château de cartes. La comparaison est possible, mais mérite d'être explicitée.

Selon DELHOSTE et MAHEUX (1984, op. cit.). toute la métallurgie est entrée en crise à partir de 1860, en résultat d'abord du traité de commerce de libre-échange avec l'Angleterre (Par le traité de libre-échange entre la France et l'Angleterre, du 23 janvier 1860, NAPOLEON III met fin aux mesures d'embargo appliquées aux produits anglais depuis le 1er Empire. Ce traité supprime toutes les prohibitions antérieures, il abolit les taxes sur les matières premières et fixe à 30% le plafond des droits sur les articles manufacturés.), mais surtout par suite d'une transformation rapide et radicale de la production de produits ferreux.

Cette politique libérale engagée par NAPOLEON III, n'aura pas cependant un effet significatif sur le coût de la vie. Il est à peu près établi que la mise en concurrence avec les produits anglais, a eu en définitive, un effet stimulant pour une industrie française singulièrement innovante dans les conditions les plus favorables d'un marché en expansion et soutenue par une organisation bancaire solide et avisée.

Schématiquement, la période qui nous occupe (1830 - 1870) est celle de l'industrialisation de la France, réalisée à une vitesse ou à taux qu'elle ne connaîtra ensuite qu'après la seconde guerre mondiale. En résumé, la mécanisation généralisée de l'industrie, y compris la fabrication des produits manufacturés, le développement exponentiel des transports par voie ferrée, l'utilisation généralisée du fer puis de l'acier dans la construction navale, l'emploi de la fonte et du fer dans les structures de bâtiments publics, des ponts, l'émergence de la métallurgie de l'acier.

L'émergence des nouvelles technologies laissant espérer de larges plus values financières, a entraîné un investissement financier considérable, d'origine bancaire, d'abord désordonné (sous LOUIS-PHILIPPE) puis strictement encadré avec le soutien actif de l'Etat (sous NAPOLEON III).

Cette période faste pour la grande industrie avait débuté dès la Monarchie de Juillet, (LOUIS-PHILIPPE régnant : 1830-1848). Elle inaugurait un cycle d'innovations technologiques et financières sans précédent, mettant en état d'infériorité le monde rural dans son ensemble, y compris les "artisans" métallurgistes devenus "sous-traitants", et confinant l'ancienne société aristocratrique dans un cercle de "rentiers".

Pour la première fois, se constituent des concentrations capitalistiques autour des plus grandes banques, pour soutenir sur le long terme les innovations technologiques que seules peuvent assumer les plus grands établissements industriels en place. Bien que les forges au bois resteront un temps des fournisseurs indispensables de matières premières, le temps que la grande métallurgique s'organise suivant une structure horizontale, réunissant la maîtrise des ressources en combustible, en minerai, celle de l' innovation technologique et le monopole de l'exploitation et de la commercialisation d'un nombre croissant de produits finis.

En face, subsiste un système de production métallurgique éclaté en petites unités saupoudrant le territoire, à l'écart des grandes voies de communication, vivant sur leurs fonds propres et enfermées dans une culture marchande traditionnelle peu soucieuse d'innovation.

Sous la Monarchie de Juillet, la métallurgie du fer utilise surtout du charbon de bois. Cependant, un créneau lui est laissé, l'extraction de la houille ne suffit pas malgré les millions de tonnes sorties du sol (5 millions de T en 1847). Parallèlement, le coke (produit houiller à haute valeur calorifique, obtenu par pyrolyse à l'abri de l'air à 1.000 °C) va progressivement remplacer le bois. Les haut fourneaux au coke passent de 41 à 106, entre 1840 et 1847.

Dans le même temps, apparaissent les machines à vapeur mobiles: les locomotives (cf. les ‘’Seguin’’, 1829, "Gironde", 1838). Les voies ferrées suivront: de 50km construits en 1830 (Les premiers 25 km construits en 1827 seront destinés au transport du charbon, entre Andrezieux et Saint-Etienne !), on passera à 1.930 km en 1848, et 3.000km, en 1850 accompagnées de leurs infrastructures!

Cette première avancée sera facilitée par une organisation nouvelle du crédit, avec une contribution de capitaux anglais. Les valeurs de chemins de fer entreront en Bourse en 1845. Elles s'effondreront très rapidement, dès 1847, engendrant de nombreuses faillites, tant du côté anglais que français. Bien que fragilisée, cette industrie continuera son œuvre: on construira 1.000km supplémentaires de voies entre 1848 et 1850.

C'est aussi l'époque où émergent des entrepreneurs d'envergure nationale. En quelques décennies ils mettront en place une industrie lourde et manufacturée, comparable en puissance à celles plus anciennes, de l'Allemagne et de la Grande-Bretagne.

Bien que relativement enclavés, ces établissements au contact des grands bassins houillers (Saint-Etienne) ou ferrifères (Lorraine), ceux-ci élargiront leur domaine marchand, en développant eux-mêmes à travers tout le pays un réseau ferré très dense. En 40 ans, entre 1830 et 1870, on construira près de 18.000 km de voies, avec les moyens et infrastructures de circulation correspondantes, dont ils seront les fournisseurs exclusifs.

Le plus entreprenant de ces managers fut Eugène SCHNEIDER (1705-1875), voué au départ à la profession d'employé de banque. Il rachète en 1836 les Forges du Creusot (Saône et Loire) en dépôt de bilan, avec le soutien de la banque SEILLERE. En quelques décennies, il crée un vaste complexe industriel intégrant les mines de charbon, la métallurgie, les ateliers de construction mécanique. On lui doit entre autres, l'invention du bateau métallique à vapeur, la construction de la première locomotive française (1838), le premier marteau-pilon à vapeur (1841).

En 1861, le complexe industriel fondé par Eugène SCHNEIDER, employant 10.000 personnes, sera considéré à l'époque comme le plus important du monde (cocorico?). Sa réussite industrielle lui permettra une fin de carrière remarquable, comme Régent de la Banque de France, Président du Corps Législatif et Président du Comité des Forges qui exercera une influence considérable sur tous les milieux industriels jusqu'en 1936. En d'autres termes, il se sera assuré la maîtrise au plus haut niveau, de pouvoirs financier, législatif et professionnel.

Aux SCHNEIDER, on peut associer les de WENDEL, une vieille famille de métallurgistes lorrains, propriétaires de mines de fer à Hayange et à Moyeuvre en Moselle, de mines de charbon et de fabriques de produits finis. Charles de WENDEL (1809-1870) fera de sa société l'une des firmes sidérurgiques les plus puissantes de France. Les de WENDEL s'engageront plus spécialement dans la construction de voies ferrées, en fer d'abord, puis en acier. Ils s'associeront en 1864 avec SCHNEIDER pour fonder le puissant Comité des Forges.

NAPOLEON III (régnant de 1852 à 1870) accentuera le soutien du pouvoir à la modernisation de la France, Il favorisera la création d'un système bancaire, offrant des crédits à la fois à long terme et à court terme, sur une assise financière élargie et stable, et par le recours aux obligations garanties par l'Etat, et non plus gagée sur les actions en Bourse.

Pour ce qui nous intéresse, à titre indicatif, sous le règne de NAPOLEON III, entre 1848 et 1870, on aura construit près de 16.000 km de voies ferrées nouvelles, infrastructures comprises. La consommation de charbon de terre triple et la production de fonte évolue dans le même sens, passant de 400.000 T à 1.400.000 T par an (correspondant à la production d'environ 3.500 .forges centrales !)). L'introduction du procédé Bessemer (transformation de la fonte en fusion  en acier en  insufflant un violent courant d'air) à partir de 1856  révolutionne la métallurgie du fer et réduit considérablement les coûts de production d'acier que l'on utilise de plus en plus. La production de ce métal passera de 283.000 T par an, à un niveau proche de celui de la fonte, à 1.014.000T.

 

6. LA FIN DES FORGES HAUT -BRETONNES AU CHARBON DE BOIS. RELATIONS AVEC LA CREATION DES FORGES DE BASSE-INDRE.

On sait l'ancienneté des relations des forges du Pays de Châteaubriant avec la fonderie d'Indret (fabrique de canons, créée en 1777), également située en Basse-Loire, mais on ne dispose pas d'archives détaillées sur l'ultime période du fonctionnement des Forges au charbon de bois.

Par contre, on peut suivre un temps l'histoire des Forges de Basse-Indre qui furent un temps un centre de gravité pour les Forges de l'Ouest. Dans une période d'une vingtaine d'années, se superposent des processus divers qui associés vont provoquer l'élimination des forges traditionnelles. On ne peut que les énumérer :

- une augmentation considérable des besoins en métaux ferreux, l'acier prenant rapidement une part prédominante,

- une évolution technologique accélérée ; en résumé :

. la maîtrise de la fusion du minerai par une élévation à 2.000°C, fournie par le coke, au lieu de 1.600°C obtenus avec le charbon de bois

. le raccourcissement des processus de passage, de la fonte au fer (procédé BESSEMER - 1856. L'acier est un mélange de Fer et de Carbone à un taux inférieur à 1 %. Les fontes contiennent de 2,5 à 6% de Carbone.)

- la concentration de moyens financiers et de productivité industrielle autour des grands réservoirs de matières premières: charbon et minerai.

- l'extension des moyens de diffusion des produits de la grande industrie, par l'extension des chemins de fer, qui vont compenser l'insuffisance du transport fluvial.

Dans la première partie du XIXème siècle, l'idée de créer une nouvelle Forge en Basse-Loire, fut sans doute une bonne opération stratégique, en raison du prix élevé de la fonte, de la proximité du marché nantais et des conditions optimales pour toute opération d'import-export.

A cette époque, l'usine de Basse-Indre était la seule forge à l'anglaise construite en zone littorale. C'était un véritable établissement industriel conçu au départ pour produire au moins 3.000 T de fers par an, soit l'équivalent d'une dizaine de forges traditionnelles.

Ce fut un projet anglais (entre 1821 et 1824) destiné à l'affinage de fontes importées et traitées avec du charbon anglais.

Mais l'augmentation des droits de douane, en 1822, sur les fontes et fers importés remit en cause le projet initial. Il fut repris par l'armateur nantais Thomas DOBREE (franco-anglais: 1782-1828), en association avec d'autres armateurs anglais. L'usine fonctionna avec des charbons anglais et belge, mêlés à de la houille en provenance de régions françaises éloignées. Le charbon local (Montrelais, Languin et Mouzeil) considéré comme de qualité médiocre fut faiblement utilisé.

 N.B. - Les forges d' Hennebont furent créées à la même époque, en 1829.

Le démarrage des Forges de Basse-Indre fut difficile en raison de la défiance persistante vis à vis du fer à la houille. Dans les premières années, elles fonctionnèrent en dessous de leur capacité de production (de 500 à l.000 t/an). Elles fermèrent de 1831 à 1836, jusqu'à la reprise par de nouveaux propriétaires.

De là elles ne cesseront de se fournir en fontes au charbon de bois, jusqu'aux années 1860.

Entre 1841 et 1855, les propriétaires s'évertuèrent pour s'assurer ce type de matière première, dans tout l'Ouest armoricain par l'acquisition ou la location (dont les Forges de Riaillé, louées en 1853) de fonderies au charbon de bois et même plus loin dans le Sud-Ouest (Basses-Pyrénées et Lot et Garonne). Ils firent même l'acquisition de la Forge-Neuve de Moisdon en 1861, deux ans seulement avant son arrêt définitif.

La production de fer laminé qui était devenue la spécialité de Basse-Indre avait plus que doublé en 10 ans entre 1840 et 1850., passant de 2-3.000t jusqu'à 5 à 7.000t par an.

Pendant ce temps là, à partir de 1846 se construisait le port de Saint-Nazaire. Le chemin de fer y arrivait en 1857. Suivront la construction d'un second bassin, qui sera le support des Chantiers de Penhoët... et le lancement en 1864 du premier grand navire en acier, "L'Impératrice Eugénie". Parallèlement, le marché nantais se spécialisait dans la fabrication de fers blancs, puis dans les constructions mécaniques et navales.

L'implosion des forges rurales avait répondu à l'explosion de la métallurgie industrielle.

Seules survivront à ce naufrage les minières de la région (Brutz, Segré et Rougé) dont la qualité du minerai, son faible coût d'extraction et de transport lui assurèrent un avantage durable sur le minerai importé.

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Références bibliographiques

Abbé TROCHU « Notes historiques – Les Maîtres de Forges » diffusées par BOUVET, Noël sur :  http://chouannerie.chez.tiscali.fr/

BUFFE, M. 1982. Une cité dans l'histoire. Châteaubriant. CID. Nantes: 675p.

Collectif. 1984. Les forges du Pays de Châteaubriant. Ministère de la Culture. Cahiers de l'Inventaire: 294p. Collectif. 2001.Journal de la France et des Français. Index & Chronologie. Gallimard: 3.4.68p.

Collectif. 2002. Un administrateur des forges royales à Indret : François Demangeat. Doc. Soc. Histoire St-Jean -de-Boiseau : http://www.boisseau/free.fr/

DAVID, D. 1983. Les ressources du sous-sol castelbriantais. Barre. Dayez. Paris: 115p.

GLEMIN,].P. 1999. Pannecé à d'heure du clocher. Planchenault : 221 p.

MEYER,]. 1958. Les forges de la région de Châteaubriant à l'époque révolutionnaire (1789-1801). Annales de Bretagne. Tome LXV.

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