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IX - RIAILLE APRES LA REVOLUTION

Avant la Révolution de 1789, seules les villes importantes avaient une organisation communale dirigée par un maire. La commune était une organisation bourgeoise composée de notables. Dans les campagnes, la communauté de base était la paroisse à la fois civile et religieuse ayant à sa tête un Conseil dont les membres étaient co-optés parmi les notables et qu'on appelait le Général de Paroisse (ou Fabrique). Ce conseil élisait chaque année parmi leurs membres un Trésorier et un ou plusieurs Marguilliers. Leur rôle était d'administrer les biens de la communauté paroissiale, leurs propres biens servaient de garantie en cas en cas de problème financier grave.

Le 12 décembre 1789, l'Assemblée nationale constituante institua une administration distincte de l'administration religieuse. Il y eut désormais la Commune et la Paroisse.

La Commune fut confiée à un Conseil d'officiers municipaux ayant à leur tête un Maire. Longtemps le Maire fut désigné par le Préfet du département et choisi, généralement, parmi les officiers municipaux mais aussi parfois au dehors. Depuis la loi du 5 avril 1884, les maires sont élus par les conseillers municipaux.

Pendant longtemps les électeurs ne purent être que des hommes âgés de 25 ans et payant un impôt. Le suffrage ne devint vraiment universel pour les hommes qu'en 1848 et en 1945 pour les femmes.

 

(Maires)

Les premières élections municipales eurent lieu dans la 2ème quinzaine de janvier 1790. Jusqu'en 1795, plusieurs maires se succédèrent à intervalles irréguliers et suivant les circonstances.

D'après les signatures sur les registres on peut dresser la liste ci-dessous :

Il n'y eut plus de signatures de maires jusqu'en 1800. Le poste dut rester vacant, puis supprimé et remplacé par celui de Président du Conseil cantonal jusqu'en 1800. La Constitution de l'an VIII, rétablit les communes rurales avec leurs municipalités, mais les maires étaient désignés par le Préfet ce qui limitait l'indépendance des élus locaux.

 

MESLIN François (4 février 1800-janvier 1813) Directeur, puis Maître de Forges de Riaillé

PATTIER René 10 janvier 1813-25 octobre 1815 Officier de Santé, résidait à la Poitevinière

VERGER Michel 15 octobre 1815-octobre 1825)

HUGUENIN Prudent (2 octobre 1825-19 mai 1829) date de son décès

MELUSSEAU Julien (mai 1829-octobre 1830)

DEMANGEAT Xavier (17 octobre 1830-novembre 1832) démissionne en 1832 mais reste maire adjoint jusqu'en 1848

BOURCIER Pierre (4 novembre 1832-décembre 1834)

GUERIN Jean (8 décembre 1834-mai 1847)

BOURCIER François (16 mai 1847-janvier 1852)

BIDET Louis (15 janvier 1852-novembre 1870)

RICHARD Julien (7 mai 1871-14 avril 1872) sur démission

GUERIN Eugène (9 mai 1872-mai 1874)

HUGE Marcel (24 mai 1874-mars 1878)

PERCHE Jean-Marie (7 mars 1878-décembre 1878)

LEFOULON Arsène (8 décembre 1878-mai 1882)

BARDOUL Pierre (7 mai 1882-janvier 1886)

JUTEAU Joseph (18 janvier 1886-janvier 1889)

RICHARD Julien (1er janvier 1889-mai 1908)

DE LA JARTE Gaston (17 mai 1908-mai 1945) avec interruption de 1914 à 1919

CHAUVEL (1914-1919) maire adjoint

VANNIER Francis (20 mai 1945-mai 1949)

GAUTIER Pierre père (15 mai 1949-décembre 1956)

GAUTIER Pierre fils (janvier 1957-mars 1962)

FERRE Jean 22 avril 1962-mars 1977)

TILLAUT Louis 20 mars 1977

 

Conseil municipal de 1800

Les électeurs de Riaillé avaient élu comme officiers municipaux :

MESLIN François, nommé maire

PATTIER René, nommé maire adjoint

VERGER Michel, maison de la Graînerie dans le bourg

PERCHÉE Jean, cloutier, au bourg

VIGNAL Victorien, ex-garde de chasse en chef

GARNIER Jean, voiturier en charbons, à la Poitevinière

ROUGÉ Guillaume de la Meilleraie

COUÉ Julien, Saint-Louis

BAUDOIN Louis, du Bois-Laurent

BAUDOIN Jean, de la Chevasné

Ce conseil municipal était tenu par des hommes modérés. Ils ne s'étaient pas vraiment engagés dans les troubles révolutionnaires, ni d'un coté, ni de l'autre.

La nouvelle municipalité eut la charge assez délicate de faire reprendre à la commune une forme de vie à peu près normale. Certes les gens de Riaillé savaient apprécier les bienfaits de la paix retrouvée, mais tous les problèmes n'étaient pas résolus pour cela et en particulier celui des impôts. Si, en effet, on avait aboli avec raison les privilèges de l'Ancien régime, la nouvelle République et bientôt l'Empire auront un immense besoin d'argent, en particulier pour soutenir la guerre qui continuera à l'extérieur avec presque toutes les nations voisines coalisées contre la France.

Le territoire de Riaillé n'était pas à comparer avec ceux de beaucoup de communes de la Vendée militaire où pratiquement rien n'était resté intact. Cependant on y trouvait une grande misère, surtout dans la campagne. Pendant plusieurs années, les armées républicaines avaient occupé et sillonné le pays en tout sens, pillant, réquisitionnant à outrance et se comportant comme en territoire ennemi. Les semailles avaient été souvent réduites au minimum, les cultures piétinées par les patrouilles de cavalerie, la moisson faite aussitôt réquisitionnée. Que pouvait-il rester aux paysans ? Peu de chose en vérité, juste assez pour ne pas mourir de faim, mais pas assez pour faire des économies et payer l'impôt !

 

(Les percepteurs)

Pierre-Michel Gourlet

La nouvelle municipalité responsable du recouvrement des contributions était fort embarrassée pour en assurer la répartition. Un homme se présenta, qui pour trouver une situation et en même temps pour se rendre utile, offrit ses services à diverses municipalités dont celle de Riaillé. Il s'appelait Pierre-Michel Gourlet, un ancien clerc du centre de Paris, fils de la gouvernante des enfants du marquis Ferron de la Ferronnays, venu se joindre aux insurgés de l'Ouest. Il s'était battu dans les rangs des Vendéens et avait eu un grade supérieur dans les armées de Haute-Bretagne et de Bas-Anjou des généraux de Scépeaux et de Châtillon. En 1800, il avait reçu des propositions pour entrer dans l'armée de Bonaparte avec un grade équivalent, mais il avait refusé car il jugeait qu'un officier ayant reçu la Croix de Chevalier Saint-Louis ne pouvait que rester fidèle à son roi en exil. Il se retira alors à Pannecé, où il s'était marié avec une demoiselle Juton de la Maison Rivière. C'est alors qu'il se mit à reclasser les propriétés dans plusieurs communes, d'après ce qu'il en restait, après les expropriations, les ventes et les calamités.

Ses services ayant été reconnus utiles par l'Administration des impôts, il fut nommé en 1803 percepteur à vie pour les cinq communes de Riaillé, Pannecé, Joué, Trans et Teillé c'est à dire pour l'actuel canton. Il gardera ce poste jusqu'au 13 avril 1815, jour où il fut suspendu de ses fonctions pour avoir manifesté son opposition au gouvernement dit des Cent Jours. (Retour de Napoléon premier de l'île d'Elbe).

Assez curieusement, cet ancien officier de la Chouannerie (Chef de légion puis Commandant de la cavalerie dans l'armée de Scépeaux, nommé chef de division en 1799 par le général de Châtillon) avait réussi à faire accepter les impôts à ses anciens soldats paysans et Dieu sait combien ces paysans étaient hostiles à l'impôt !

Après le retour de Louis XVIII, en juillet 1815, Michel Gourlet demanda à entrer dans l'armée royale, mais les grades étaient accaparés par des privilégiés de l'ancienne noblesse ou par des débrouillards qui avaient des moyens suffisants pour acheter les services des bureaux des ministres. Finalement, il fut admis dans la gendarmerie avec le grade de lieutenant et envoyé à Doullens dans la Somme, puis à Vouziers dans les Ardennes, puis à Pontoise et à Rambouillet. En 1830, il fut promu capitaine à Riom en Auvergne, pas pour longtemps car à l'avènement du roi Louis-Philippe, il fut démis de ses fonctions et mis d'office à la retraite. Il se retira en Normandie, près de son fils, ancien officier destitué lui aussi.

[Nous n'avons pas retrouvé dans les Mémoires de Pierre-Michel Gourlet de précisions sur le lieu de son  emploi de percepteur. L'abbé Trochu le situe à Riaillé, nous ne connaissons pas la source de son information. ]

 

Jean TERRIEN

L'un des proches successeurs de Pierre-Michel Gourlet à la perception de Riaillé, fut l'un de ses compagnons d'armes du temps de la Chouannerie, Jean Terrien dit "Cœur-de-Lion", qui commanda la division des insurgés du District de Châteaubriant. Après 1800, Jean Terrien s'était retiré à Nantes rue du Marais, où il devint marchand de bois, ce qui lui permettait de rester en relation avec ses camarades forestiers de la région. En 1815, il avait pris le commandement des jeunes gens des environs de Châteaubriant qui refusaient de servir dans la nouvelle armée de Napoléon. Avec cette troupe, il avait formé une sorte de garde territoriale, qui joua un rôle utile pour modérer et même s'opposer aux réquisitions abusives des troupes prussiennes qui occupèrent quelque temps la région. Par la suite, il n'essaya pas d'entrer dans l'armée régulière, se contentant de présider des réunions d'anciens combattants royalistes en qualité de colonel honoraire.

Il aurait pu occuper un emploi administratif à Nantes, mais il préféra une situation plus indépendante et il accepta la charge de percepteur, ce qui d'ailleurs dans l'esprit et la pratique du temps était une place honorable. La perception de Riaillé le mettait dans un pays bien connu de lui et proche de sa famille paternelle de la Rouxière et de Maumusson, de ses cousins d'Issé et de la famille de sa femme native de la Haluchère au Grand-Auverné.

Il trouva à Riaillé de bons amis. D'abord le curé Joseph Prod'homme, ancien aumônier des chouans, la famille Huguenin et autres, mais aussi de solides ennemis parmi les anciens jacobins du pays et quelques militaires déclassés de l'armée impériale nostalgique d'un passé glorieux et farouches anti-royalistes. On voit mal le remuant et fougueux "Cœur-de-Lion" derrière le bureau d'un percepteur. C'est pourtant la situation qu'il occupa confortablement et sans histoire jusqu'au moment de la chute de Charles X à la fin de juillet 1830 et son remplacement par Louis-Philippe.

Jean Terrien, comme beaucoup d'autres n'accepta pas le changement et c'est pourquoi il quitta Riaillé…en emportant les registres et la caisse qui contenait 6.000 Francs, il estimait qu'ils appartenaient à l'administration du roi Charles X. Le 3 avril 1831, il envoya une de ses filles restituer le tout à l'Administration des finances, par l'intermédiaire d'un ancien maire d'Ancenis M. Rat d'Amblemont.

Cette restitution n'arrêta pas les efforts de toutes les polices de la région lancées contre lui. Dans l'impossibilité de mettre la main sur lui, on saisit son fils, Jean-Baptiste, âgé de 20 ans. Mis en prison le 23 mai 1831, le jeune homme accusé de complicité, fut acquitté le 14 juin suivant.

Cependant dans l'Ouest de la France, des attroupements se formèrent contre le roi Louis-Philippe, mais beaucoup moins importants que ne l'avaient espéré les légitimistes. "Cœur-de-Lion" comptait lever 2.000 hommes, il n'en rassembla que de 200 à 300, malgré les efforts de ses racoleurs dans les paroisses. Les autres chefs ne furent guère plus suivis, si bien qu'après le débarquement de la duchesse de Berry en 1832 et l'appel aux armes du 3 juin, les groupes d'insurgés peu nombreux et désunis se trouvèrent en situation désespérée face aux 60.000 soldats envoyés par le gouvernement.

La rébellion se termina avec l'arrestation à Nantes de la duchesse du Berry le 7 novembre 1932. Mais "Cœur-de-Lion" ne voulut pas se rendre. Il avait d'ailleurs tout à craindre de Demangeat le procureur de Nantes qui l'aurait envoyé au bagne. Par esprit d'apaisement, le gouvernement avait confié à la cour de Blois, moins motivée, le soin de juger les chefs des insurgés. Cette cour acquitta Jean Terrien en février 1834. Ce dernier sortit alors de la clandestinité où la police n'avait jamais pu l'atteindre.

Evidemment, il avait perdu sa place de percepteur et s'il reparut parfois à Riaillé, c'était pour embrasser sa petite-fille Louise Huguenin, née du mariage de Hyacinthe Huguenin et de sa fille Jeanne Terrien, morte le 10 novembre 1832. Il se fixa à Nantes, 17 rue Saint-André, où il devait mourir en 1855.

 

(Le combat de Colombeau)

Le 5 juin 1832, vers 4 heures de l'après-midi, se déroula à Riaillé un combat cité par les historiens de ce temps. La troupe d'insurgés commandé par La Roche-Macé, y rencontra un bataillon du 31ème de ligne et une section du 54ème . Les royalistes étaient dans le bourg de Riaillé, les soldats arrivèrent de Bonnoeuvre. La Roche-Macé voulut parlementer, mais un coup de feu, parti de quelque part, déclencha une fusillade nourrie. Les paysans chargèrent à la baïonnette et les militaires reculèrent de haie en haie jusqu'à l'entrée de la forêt au lieu dit Colombeau. Le combat s'arrêta là. Quand les renforts envoyés par le général Dermoncourt arrivèrent sur les lieux, ils ne trouvèrent aucun ennemi. Les insurgés s'étaient repliés emmenant leurs morts et leurs blessés.

Du coté des soldats, il y eut quatre morts, des grenadiers du 3ème bataillon du 54ème de ligne : Saint-Pierre Pierre, (22 ans), natif de Montdragon dans le Vaucluse ; Morlon Alexis (22 ans) natif de Loyettes dans l'Ain ; Puesch François (22ans), natif de Saint-Jean-du-Gard ; Berton Augustin (27 ans), natif de Beaufort dans l'Isère

Quelques personnes mal intentionnées accusèrent le clergé de Riaillé d'avoir sympathisé avec les insurgés. Le Préfet n'accepta pas l'accusation et même le journal anticlérical "L'Ami de la Clarté" du 17 juin publiait cette note : "Lors du combat, les prêtres de Riaillé ont pansé les blessés, donné du pain aux patriotes qui n'en avaient pas… et ils ont déconseillé aux jeunes gens d'entrer dans la clandestinité."

Il ne semble pas que "Cœur-de-Lion" (Jean Terrien) ait participé au combat, il avait ses problèmes du coté de la forêt de Juigné et de Moisdon.

[ LE SAVIEZ-VOUS ?,  un document dactylographié et non daté conservé dans les archives d'Hyppolite Testard, ancien Secrétaire de Mairie et passionné d'Histoire locale a une version différente :

La bataille aurait eu lieu le 6 juin 1832. Le régiment gouvernemental aurait été le 154° régiment de ligne commandé par  le général Dermoncourt qui avait établi son quartier général dans l'ancien café Denion.  Les soldats auraient été attaqués par les chouans en allant chercher de l'eau  à la fontaine de la Cour du Bois. Les morts auraient été enterré dans le Plessis, sous un tumulus, démoli en 1962, appelé "le tombeau aux chouans".

La famille Testard conserve toujours un sabre et deux pistolets retrouvés sur le champ de bataille .]

 

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Le Sabre et l'un des pistolets

 

(Les pacificateurs)

Le célèbre coup d'état du 18 brumaire de l'an VIII (9 novembre 1799) organisé par le général Napoléon Bonaparte, renversa le gouvernement du Directoire devenu impopulaire. La nouvelle Constitution, dite de l'an VIII, publiée dés le 25 décembre 1799, établit le Consulat qui devait aboutir au premier Empire en mai 1804.

Le changement de situation, le plus important fut la sortie de l'atmosphère de haine et d'insécurité qui régnait depuis plus de huit ans. Tout ne devint pas parfait dans cet ordre rétabli militairement par le premier Consul Bonaparte, mais on pouvait à nouveau dire ce que l'on pensait sans craindre une dénonciation et avoir à redouter une amende, la prison ou voire la mort. Cependant, le rétablissement de l'ordre ne suffisait pas. Les esprits étaient encore divisés par les passions politiques, sociales ou religieuses. Entre membres de la même famille, entre proches voisins il existait toujours une barrière faite de souvenirs récents pétris d'injustices, de règlements de comptes, de rancœurs et de sang répandu. Elle semblait infranchissable.

Le rapprochement se fit peu à peu. Il fut l'œuvre des semeurs de Paix qui se trouvèrent parmi un bon nombre d'administrateurs civils, élus parmi des hommes reconnus comme modérés et chez les nouveaux curés de nos paroisses. Tel fut le cas pour Riaillé.

 

François MESLIN

Nommé dés le début 1800 maire de Riaillé par le Préfet de Loire-Inférieure, le citoyen François Meslin, âgé de 36 ans, était le notable le plus important de la commune.

Né en 1764, d'une famille de la région, il avait fait des études lui permettant de trouver de bonne heure un poste de Commis (secrétaire) dans l'administration des Forges de Riaillé. Il était protégé par le Directeur, Auguste Garnier, l'un des membres d'une famille bourgeoise de Moisdon spécialisée dans l'industrie du fer.

Dés avril 1789, âgé à peine de 25 ans, François Meslin figurait déjà parmi les notables de Riaillé puisqu'il était marguillier et avait donc en charge la gestion de la paroisse. Il fut l'un des trois intellectuels de l'endroit appelés à rédiger le cahier de doléances de la communauté locale. Durant toute la série des troubles révolutionnaires, il fut assez habile pour ne pas trop s'engager dans les luttes qui divisèrent la commune mais fut cependant adjudant major dans la garde nationale de Riaillé.

Lorsque le 4 novembre 1794, mourut Auguste Garnier, qui était à la fois directeur des Forges et maire de Riaillé, il était tout désigné pour lui succéder dans ces deux fonctions. Il accepta la charge de Directeur intérimaire des Forges, mais il fut assez prudent pour ne pas se laisser engager dans la situation incertaine et dangereuse de responsable de la Mairie. Le gouvernement du Directoire ayant supprimé les municipalités rurales le délivra d'un danger possible et lui permit d'envisager la Direction des Forges d'une façon plus stable et de fait on l'y trouve solidement installé à la Provôtière. La fonderie de la Poitevinière et les forges de la Provôtière furent assez souvent gardées et plutôt encombrées par des cantonnements militaires et il fallut au directeur beaucoup d'habilité pour modérer les exigences des officiers et des soldats, pour défendre les familles de ses ouvriers contre les brutalités de la troupe, tout en assurant autant que possible le rendement que lui imposait l'Etat.

Pendant les années 1796 et suivantes, le commissaire Charles Lecomte, agent du Directoire départemental auprès de l'administration cantonale de Riaillé, mais résidant à Joué, tenait François Meslin comme suspect de connivence avec les chouans du pays et il le dénonça assez souvent. Ce fut en vain, car le Directeur des Forges avait des amis des deux cotés. Il cacha sans doute plus d'une fois des insurgés ou des prêtres réfractaires mais fournit aussi du ravitaillement à M. Laheu des Airauds, farouche jacobin et homme influent dans le District d'Ancenis. Il faut dire que la ville d'Ancenis bloquée par les groupes chouans souffrit beaucoup de la faim.

En 1803, la veuve du duc de Chârost ayant récupéré la propriété effective des Forges de Riaillé, François Meslin passa avec elle un contrat d'affermage avec bail de 9 ans renouvelables. Il devint alors Maître de Forges de Riaillé. Il disposait ainsi, pour un fermage de 16.000 Francs des deux forges de la Provôtière et de la Vallée, de la fonderie de la Poitevinière avec l'usage des deux fermes du Tertre et de la ferrière ainsi que de diverses maisons et terres voisines.

Il resta Maître de Forges et Maire de Riaillé jusqu'à la fin de 1812, où il quitta le pays pour s'installer comme Directeur des importantes Forges de Pouancé.

 

Julien PROD'HOMME

Julien Prod'homme, était né le 8 juin 1771 à la Bourdinière en Pannecé. Fils de Julien Prod'homme, notaire, et Jeanne Blin. D'une famille assez à l'aise, il avait fait ses études au collège d'Ancenis. Il ne les avait pas terminées en 1790 quand le collège fut fermé. C'est alors qu'il partit pour Paris où il s'engagea chez un marchand comme garçon de magasin, mais il profitait de tous les moments libres et surtout de ses soirées pour étudier avec deux camarades. Il se plaça sous la direction de l'abbé Emery, supérieur des Sulpiciens, qui réussit à vivre clandestinement et à exercer un actif ministère à Paris pendant toute la Révolution. Ce prêtre éminent lui donna et lui fit donner des leçons suivies de philosophie et de théologie, si bien que le jeune homme put recevoir avec les dispenses voulues par les circonstances, la tonsure, les ordres mineurs, le sous diaconat et le diaconat des mains de Monseigneur de la Tourlandry, évêque de Saint-Papoul (Aude), caché à Paris. Pour recevoir la prêtrise il dut se rendre à Lyon, où il fut ordonné prêtre, par une nuit d'orage, vers deux heures du matin, en toute petite société. Ce fut un souvenir toute sa vie.

Deux ou trois jours plus tard, il prit la route pour revenir dans son pays natal. C'était en 1796. Il prit aussitôt contact avec le groupe de prêtres resté dans la région et travaillant sous la direction de l'abbé Souffrant, futur curé de Maumusson, revêtu provisoirement des pouvoirs de vicaire général. Il trouva asile et protection surtout dans les paroisses de Pannecé et de Riaillé où il exerçait le ministère sacerdotal suivant les circonstances et en même temps il accompagnait volontiers comme aumônier militaire les compagnies de chouans du pays.

Quand le premier Consul proclama la liberté des cultes au début de 1800, les différends prêtres restés sur place furent répartis dans les différentes paroisses avec l'approbation du Vicaire général de Monseigneur de la Laurencie non rentré d'exil. La paroisse de Riaillé fut confiée à l'abbé Prod'homme.

Bonaparte ayant conclu avec le Saint-Siège, le Concordat du 15 juillet 1801, officiellement promulgué le 8 avril 1802, le Pape avait nommé Monseigneur Duvoisin comme évêque de Nantes. Ce prélat fit son installation à Nantes le 10 octobre 1802 et entreprit immédiatement la réorganisation de son diocèse, notamment en nommant officiellement des curés dans toutes les paroisses. Etant donné le nombre considérable de prêtres qui avaient disparus dans la tourmente révolutionnaire, les paroisses furent pourvues de prêtres jeunes, qui en temps normal auraient commencé par être vicaires. C'est ainsi que l'abbé Prod'homme déjà installé dans la paroisse depuis 1800 fut nommé officiellement curé de Riaillé. Agé de 32 ans, il devenait l'un des plus jeunes curés de cantons. Les paroisses autres que les cantons recevaient pour les administrer un prêtre simple desservant.

Certes la paroisse de Riaillé n'avait pas été laissée complètement à l'abandon, sans secours spirituel pendant le temps de la persécution, car plusieurs prêtres y avaient exercé un certain ministère à intervalles irréguliers, notamment l'abbé Bellanger, curé de la Meilleraye depuis 1774 et qui devint curé de Saint-Mars-la-Jaille en 1802

Sur le territoire de Riaillé, il baptisa au moins 16 enfants entre le 4 juillet 1795 et le 12 mars 1796. Il en baptisa également sur Joué, Abbaretz, même à Mouzeil et d'Ingrandes à Champtoceaux, car grand était sa mobilité et son champ d'actions. L'abbé Nicaise Pret du Grand-Auverné baptisa aussi des enfants de Riaillé. Beaucoup de ces actes religieux, baptêmes et mariages se faisaient dans la forêt d'Ancenis. En général, on enterrait les morts sans la présence du prêtre, mais la plupart des mourants avaient reçu la visite d'un prêtre.

En s'installant à Riaillé, l'abbé Prod'homme dut accepter de recevoir le logement et la nourriture chez ses paroissiens, car le presbytère et même l'église n'était pas en état de le recevoir. L'immense soulagement de pouvoir apparaître ouvertement, de vivre et parler librement dut lui faire apparaître bien légers ces petits inconvénients, lui qui avait été traqué pendant des années.

En 1792, le presbytère, l'église et le petit cimetière avaient été mis à la disposition du curé constitutionnel de ce temps, le citoyen Jean-François Gonthière, dont il a été question précédemment. Ce prêtre avait quitté Riaillé au début du printemps 1794, avait abdiqué sa prêtrise et s'était installé à Nantes. Après son départ, le presbytère avait été pillé. L'église n'avait pas été respectée et tout l'intérieur avait été saccagé par les troupes de passage qui s'en servaient comme cantonnement. Les autels avaient été détruits, les statues brisées, le mobilier enlevé ou brûlé, les confessionnaux avaient servi de guérites pour les sentinelles et le cimetière avait été profané et les pierres tombales détruites.

Le 24 février 1800, la liberté religieuse étant assurée, le culte rétabli, un comité de 15 hommes s'intitulant Conseil Paroissial se groupa autour de l'abbé Prod'homme pour racheter l'église, le cimetière et le presbytère aux 10 acquéreurs de septembre 1797 pour une somme de 500 F.

Assez curieusement, ce nouveau groupe ne comprenait plus qu'un cultivateur de la Cavalinière, les autres étaient le maire François Meslin, directeur des Forges, Jean Harel commis au fourneau de la Poitevinière et 12 artisans ou commerçants du bourg. On pourrait remarquer, malicieusement, qu'à cette date il n'y avait plus de danger à apparaître clérical, mais aussi que c'était un honneur d'être conseiller paroissial et donc une marque de notoriété.

Les 15 notables s'étaient portés acquéreurs "tant au privé que pour les habitants de Riaillé". Ainsi l'abbé Prod'homme avait à sa disposition une église et un logement, mais en quel état de délabrement ! Au cours de XI (1802), le conseil municipal vota la somme de 1.300 Francs pour "réparer l'église dévastée". En attendant les réparations, le bon curé dut officier dans une église dénudée, dont on avait réparé tant bien que mal le toit, les portes et les fenêtres.

Quand l'église avait été livrée au pillage, des paroissiennes s'étaient servies largement. Les unes dans le dessein de conserver les ornements, les autres pour les utiliser à leur usage personnel ou familial. Le nouveau curé fit appel à la population pour récupérer le plus grand nombre possible de ces objets du culte. Ainsi revinrent à l'église plusieurs ornements en assez bon état et quelques objets divers. Toute l'argenterie avait été envoyée à la monnaie et les cloches avaient servi à faire des canons à l'exception de l'une d'entre elles gardée pour sonner le tocsin. Il n'y avait plus de linge d'autel, il avait servi comme linge de maison. Le Directeur des Forges de la Provôtière avait réussi à conserver en les cachant les objets du culte de la chapelle de la Forge, il les mit à la disposition de l'église. Des chapelles rurales ou domestiques de la Poitevinière, Bourgchevreuil, la Piardière, le Bois, le Haut-Rocher, Saint-Ouen, Saint-Louis il ne restait que des ruines.

Peu à peu, entre 1800 et 1810, la générosité des paroissiens, l'ingéniosité et les économies du curé avaient réussi à reconstituer plus ou moins le mobilier de l'église et du presbytère.

L'abbé Prod'homme était respecté, aimé, vénéré à Riaillé pour ses paroles, pour ses actes et même pour son attitude. Il était, dit-on, un grand et bel homme, fort distingué dans son maintien et ses manières, très édifiant dans tout son ministère. Avec cela, il était très bon et très proche de tous ses paroissiens, n'hésitant pas à se priver du nécessaire pour secourir les plus pauvres. Car les pauvres ne manquaient pas à Riaillé.

La guerre civile avait appauvri beaucoup de familles, mais il y avait eu des profiteurs et ces enrichis devenus propriétaires étaient souvent plus exigeants et autoritaires que les anciens à l'égard des cultivateurs, au sujet des fermages et des redevances en argent ou en nature.

A Riaillé, il y avait les Forges, Or le petit monde des fondeurs et des forgerons avait perdu ses prérogatives d'ouvriers privilégiés de l'Ancien Régime. Le métier était dur et malsain, surtout pour ceux qui étaient exposés à la chaleur des fours, ce qui provoquait chez eux une mortalité précoce. Leurs veuves et enfants se trouvaient alors dans la misère et souvent réduits à la mendicité.

En janvier 1821, Dom Antoine abbé de l'abbaye de la Melleray, écrivait à la duchesse de Charost propriétaire des Forges résidant à Paris et donc très lointaine des problèmes de Riaillé. En voici un extrait :

"Je joins ma lettre à celle du curé de Riaillé. Madame la Duchesse est la grande propriétaire sur cette paroisse (…) ces forges sont l'occasion de la quantité de pauvres qu'il y a et voici comment. Un homme vient travailler comme forgeron et il y meurt. Cela arrive souvent, tant à cause de l'espèce de travail que pour l'intempérance à laquelle les forgerons sont excités par la chaleur des fourneaux. Cet homme en mourant laisse 5 à 6 enfants qui de suite sont à la charité de la paroisse. Quand les forges sont trop longtemps sans aller, les hommes sont de même réduits au besoin. Parmi les enfants que nous nourrissons (à l'abbaye) et auxquels nous donnons quelque petit ouvrage à faire par charité, il y en a toujours de la Forge. C'est un peu le monde renversé que nous prenions soin des pauvres vassaux de Madame la Duchesse. Pendant l'hiver, ils ne sont ni couverts, ni habillés. Si Madame la Duchesse a quelques aumônes à faire, indépendamment qu'ils y ont des droits particuliers, j'ai l'honneur de l'assurer qu'elle n'en peut faire de meilleures, qu'elle peut les déposer en toute confiance entre les mains de Monsieur Prod'homme, curé de Riaillé, très bon et très zélé pasteur, qui en fera la distribution avec toute espèce de sagesse et de discrétion."

La duchesse de Chârost envoya une réponse à l'abbé de Melleray, mais il n'y est pas fait mention de ce qu'elle a pu faire pour les pauvres de Riaillé. Elle dut faire quelque chose, car elle était, dit-on, fort charitable. De toute façon, cela ne réglait pas le problème à la base.

Zélé pour le ministère pastoral et pour le soin des pauvres, le curé Prod'homme fut aussi un homme de Paix qui multiplia ses efforts et ses interventions paternelles pour amener la détente, l'oubli des injures et la charité fraternelle entre ses paroissiens divisés. Fort instruit, il aurait pu lui aussi écrire ses mémoires. Certes, il avait beaucoup de choses à raconter, beaucoup de souvenirs à évoquer au sujet de sa vie durant la Révolution. Il le fit sans doute de vive voix entre amis, mais on ne connaît de lui aucun document sur ce sujet.

Pour lui, comme pour beaucoup d'autres prêtres, il y avait là un sujet tabou à ne pas évoquer, afin de ne pas réveiller certaines blessures encore mal cicatrisées. Et puis le curé était le curé de tous, des amis comme des moins amis et même des opposants.

L'abbé Julien Prod'homme resta ainsi curé de Riaillé pendant un peu plus de 30 ans, mais dés le mois d'août 1828 on ne retrouve plus sa signature que très rarement sur les registres paroissiaux et d'une écriture de plus en plus tremblée. La dernière presque illisible figure au 7 janvier 1829. Il avait alors l'assistance d'un prêtre qui signait Moraud (ou Morvaud) aussi bien sur les registres des baptêmes, mariages, sépultures que sur le cahier des délibérations du Conseil paroissial. C'est donc qu'il remplaçait complètement le curé. Qui était ce prêtre, qui signait nettement Moraud vicaire et dont le nom ne se trouve pas sur les listes officielles du diocèse de Nantes ? Sa signature apparue en janvier 1829, disparaît totalement après l'arrivée du curé en 1832 !

Le bon curé Julien Prod'homme mourut le 18 septembre 1831 dans son presbytère, âgé de 60 ans, regretté de tous et le lendemain, à sa sépulture, assistaient de nombreux prêtres ainsi que son frère Jean Prod'homme de la Bourdinière à Pannecé, âgé de 54 ans.

 

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